Aurélie Dupont danse l’Histoire de Manon

Les adieux à la scène d’Aurélie Dupont ont eu lieu le 18 mai dernier dans l’Histoire de Manon, un ballet de Kenneth MacMillan. Mais ce sont en vérité toutes ses représentations qui étaient des adieux : chaque soir, son public lui a rendu un long hommage, debout, ne cessant plus d’applaudir.

C’est donc sous le signe de l’émotion que s’est déroulé le spectacle du 8 mai 2015.

Pour bien comprendre, résumons l’histoire. L’Histoire de Manon est une adaptation du roman L’Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut de l’abbé Prévost (1731).


© ONP


Manon, jeune fille de 16 ans, est envoyée au couvent par ses parents, afin d’y recevoir une bonne éducation. Mais Manon rencontre Des Grieux, un jeune homme sans le sous dont elle tombe éperdument amoureuse.

Sauf que son frère Lescaut ne l’entend pas de cette oreille : il a bien l’intention de vendre les charmes de sa soeur, afin de récolter de l’argent. A cette effet, il l’a promise à monsieur G.M, un vieil homme nanti qui promet de couvrir Manon de bijoux en échange de ses services. Cette dernière hésite, et se tourne finalement vers les richesses que lui promet monsieur G.M.

Invité par Lescaut, Des Grieux retrouve chez monsieur G.M une Manon richement vêtue, qui est bien surprise de retrouver son ancien amant. Voulant à tout pris arracher Manon à cette vie, Des Grieux propose à Lescaut de jouer l’avenir de la jeune fille au jeu. Manon et Des Grieux finissent par s'enfuir ensemble. Mais ceux-ci sont dénoncés par monsieur de G.M, et Lescaut sera tué dans la confusion. Manon est accusée de prostitution et est envoyée au bagne en Louisiane.

Des Grieux, en se faisant passer pour son mari, a pu embarquer avec elle. Le geôlier, qui trouve Manon à son goût, est bien décidé à s’offrir ses charmes. En défendant l’élue de son coeur, Des Grieux tue le geôlier, et les deux amants doivent fuir dans le marais. Epuisée, Manon agonise, et finie par rendre l’âme.

La compréhension de l’intrigue est indispensable pour pouvoir apprécier pleinement le spectacle. Cela est d’autant plus important dans les ballets néoclassiques, où le mouvement académique est finalement moins important que l’histoire.

Et pour servir une telle intrigue, une distribution étoilée était de mise.

Aurélie Dupont, au crépuscule de sa carrière, campe une Manon magistrale. Tour à tour jeune fille innocente, femme vénale, ou désespérée et épuisée, la danseuse, mise comme à son habitude, sur la subtilité. Jamais son jeu ne tombe dans l’excès. De cette façon, le spectateur peut ressentir encore plus intensément ce que ressent le personnage, de la splendeur d’une vie faite de luxe et de luxure, à la déchéance la plus totale.


© ONP

Roberto Bolle, spécialement invité pour cette série de représentations, offre à l’inverse une interprétation à l'opposé de celui de sa partenaire. Il vit les émotions au premier degré et nous les fait partager comme telles. Il se lance à corps perdu dans l’histoire. Mais étonnement, cela s’harmonise parfaitement avec le jeu que propose Aurélie Dupont : si elle est une Manon hésitante et fragile, lui est un jeune homme éperdument amoureux, et prêt à tout pour sauver sa promise de cette vie peu glorieuse à laquelle elle a cédé.

Il y a quelque chose d’émouvant à voir évoluer ensemble ce couple de danseurs proche de la retraite. S’ils n’ont eu que peu de répétitions ensemble, leur complicité ne s’en ressent pas le moins du monde.

Est-il besoin de préciser la précision technique dont le couple a fait preuve ? Aurélie Dupont, comme à son habitude, se joue avec une insolence des difficultés de la chorégraphie. Dans un rôle comme celui-ci, où l’histoire est primordiale, passer au-delà du mouvement est plus que nécessaire. Et la danseuse a été ce soir-là au sommet de son art. Roberto Bolle propose lui aussi une précision technique proche de la perfection : rien ne tremble, chacun de ses pas est maîtrisé.

Mais la grandeur des danseurs principaux ne doit pas occulter la performance des personnages secondaires.

Stephane Bullion, Lescaut, propose une danse souple, presque féline. Ses réceptions ont tout le moelleux qu’ont attend d’une étoile de cette trempe, et les sauts et les tours ne sont pas en reste. Sans oublier l’interprétation, d’une grande lisibilité.

Alice Renavand, de son côté, est parfaite en maîtresse de monsieur de G.M. Sa danse piquante et précise convient tout à fait à ce rôle, où la dominante comique ne doit pas occulter la difficulté de la chorégraphie. La danseuse arrive complètement à se fondre dans le personnage, arrivant même à déclencher des rires de la part d’un public réputé exigeant.

Après l’apothéose émotionnelle que constitue le troisième acte, la représentation s’est achevée par une longue standing ovation, durant laquelle Aurélie Dupont aura eu bien du mal à retenir ses larmes.


© Philippe Bienaimé

Dix jours plus tard, le 18 mai, le Palais Garnier a dû dire adieu à une danseuse d’exception. Mais heureusement pour nous, cet adieu n’est qu’un au revoir, puisque Aurélie Dupont va devenir maîtresse de ballet au sein de la compagnie.


Claire Foucqueteau

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